Annik est catégorique. Pour elle, à l’époque, il n’était pas question de reprendre Conciergerie AL Enr., à Chicoutimi, que son père avait démarrée en 1996. Trop de mauvais souvenirs y étaient associés.

Le père d’Annik y travaillait comme seul concierge, et sa mère faisait la comptabilité. Au départ, il ne s’agissait que d’un revenu d’appoint, un « side-job » pour permettre à la famille d’arrondir les fins de mois, en parallèle à leurs emplois respectifs. En 2014, dix-huit ans après sa création, Conciergerie AL Enr. avait toujours un
chiffre d’affaires relativement modeste.

 Je vais être franche, je n’aimais pas l’entreprise. 

La jeune femme a aussi longtemps associé le métier de son père à une mauvaise réputation. Elle et son frère, à l’école, subissaient les moqueries de certains camarades, puisque leur père était « concierge ».

Un sentiment de honte n’a pu faire autrement que d’envahir Annik durant son adolescence : selon son raisonnement, plus elle coupait les ponts avec l’entreprise de son père, mieux elle s’en sortirait.

Famille

Audace

Préparer la relève

Lorsqu’il atteint 54 ans, le père d’Annik veut passer à autre chose. À ce moment, il ne voit qu’une issue pour son entreprise : mettre la clé sous la porte. Annik s’en souvient comme si c’était hier. « Il m’a dit : toi qui as des contacts un peu partout, pourrais-tu me trouver une petite jobine pour mes vieux jours ? »

« Ça m’a rendue vraiment triste. Je me suis rendu compte que mon père s’était dévoué toute sa vie pour ses enfants, et il n’avait jamais obtenu la reconnaissance qu’on lui devait. »

Elle-même grandement reconnaissante envers ses parents, admiratrice de leur dévouement, Annik est incapable d’imaginer son père chez un autre employeur – un employeur qui ne le valoriserait pas nécessairement à sa juste valeur.

C’était en 2014. Tout ça cogite un moment dans la tête de la jeune femme, elle qui occupait à ce moment un emploi bien rémunéré dans l’industrie textile. Rapidement, elle se sent investie d’une nouvelle mission, teintée de fierté pour l’entreprise de ses parents, mais aussi une mission empreinte de justice sociale. Elle lance alors à son père : « Qu’est-ce que tu dirais si je reprenais l’entreprise familiale… aimerais-tu venir travailler avec moi ? »

Ainsi débute la grande aventure de Lachance & Gravel, tirée par la mission d’Annik : changer la perception qu’ont les gens de l’entretien ménager, pour en faire un métier où les humains sont fiers, se sentent utiles, se sentent appréciés.

Annik n’a aucune expérience en entrepreneuriat quand elle reprend
l’entreprise familiale. Mais son énergie débordante et sa grande vivacité
d’esprit s’avèrent amplement suffisantes pour briser le plafond
de verre et atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé.

Lorsqu’elle prend les commandes de Conciergerie AL Enr. à 24 ans, Annik n’a qu’une seule mission : faire reconnaître les métiers non reconnus. Elle le fait pour ses parents, et pour toutes les personnes qui exercent des métiers essentiels, mais qui passent sous le radar.

Elle renomme d’ailleurs l’entreprise Lachance & Gravel, en l’honneur de ses parents, Guy Gravel et Anna Lachance. « Ils n’auraient pas eu l’énergie de faire passer l’entreprise à un niveau supérieur. En la reprenant, j’étais en mesure de la faire grandir. »

Vivacité

énergie

Le décollage

La majorité des entreprises ferment dans leurs deux premières années d’activité – on a souvent entendu ça. Les premiers temps sont cruciaux pour se bâtir une bonne santé financière. La première personne qu’Annik embauche à son entrée en 2014, c’est un comptable fiscaliste à l’externe.

« C’est niaiseux, mais je ne savais pas c’était quoi des états financiers. Je voulais qu’il m’explique toute la machine. »

Rapidement, elle assimile tout ce qu’elle peut en connaissances financières. Elle sait qu’il sera plus judicieux de réinvestir tous les profits en perfectionnement et en expansion, année après année.

Habituée à vivre avec peu, Annik entend bien se discipliner sur ses revenus, c’est-à-dire les dividendes qu’elle se verse à elle-même.

 Dès le départ, tous les profits ont été réinvestis dans l’entreprise pour assurer sa croissance. 

Trois ans plus tard, Lachance & Gravel déménage dans des locaux plus spacieux, avec un service de buanderie à l’interne, un service de livraison de produits et de nouveaux employés à l’administration, dont une personne au développement des affaires. Ils atteignent les cinquante employés.

En reprenant les rênes de l’entreprise de son père, Annik voulait redorer l’image de son secteur d’activité et faire une différence dans la société. Pour réaliser cet objectif, elle souhaite que son entreprise atteigne les plus hauts standards de l’industrie et met tout en oeuvre pour y arriver.

Plusieurs personnes démarrent en entretien ménager sans véritable expérience, et selon la dirigeante de Lachance Gravel, c’est une erreur.

Les gens se disent : faire du ménage, rien de plus simple, on en fait tous à la maison. C’est faux !

« Entretenir notre résidence comme on l’entend, et entretenir des établissements commerciaux et industriels de façon adéquate et sécuritaire, c’est très différent. »

L’entreprise ne compte plus les fois où ses employés sont arrivés chez un nouveau client et ont vu des produits non identifiés, des produits qui semblent avoir été mélangés, ou de l’équipement insalubre.

« On doit s’assurer de suivre le procédé pour éliminer les bactéries et germes dans des endroits précis en utilisant adéquatement les produits fournis à cet effet. Utiliser un produit qui fait tout, ce n’est pas pour nous. Un produit doit être spécifique à une tâche. »

Annik est très créative et elle est aussi constamment à la recherche de la prochaine innovation à instaurer dans l’entreprise pour en faire bénéficier les employé.e.s et clients.

Pour Lachance Gravel, l’atteinte des plus hauts standards se remarque aussi dans le souci porté aux détails, comme de petites attentions laissées sur les lieux après le passage des employés. « Nous développons sans cesse l’expérience humaine et l’expertise. »

On ne réinvente pas comment vider une poubelle ou bien épousseter un bureau. Mais c’est certain qu’on le fait différemment.

Souci du détail

Annik est certaine qu’elle a toujours eu la fibre entrepreneuriale, aussi loin qu’à l’école secondaire, mais qu’elle n’en était pas vraiment consciente à l’époque.

Les entrepreneurs sont souvent des gens atypiques, comme elle. Même que, parmi les entrepreneurs, elle se trouve elle-même atypique.

« Après avoir repris l’entreprise, j’ai longtemps essayé de cadrer dans le profil de l’entrepreneur classique, toujours bien habillé, qui prend des décisions à la mode, voire qui joue un personnage. Car oui, je trouve que parfois, en affaires, tu peux vouloir jouer un personnage pour parvenir à tes fins, et tes relations ne sont pas toujours sincères. »

Le jour où je suis devenue 100% authentique, où j’ai cessé de jouer un personnage, ça s’est mis à vraiment aller mieux. Ça transpirait dans mon entreprise.

Force & authenticité

Une gestion par le coeur

Cette authenticité, elle s’observe dans tous les gestes posés par Annik pour revaloriser les métiers non reconnus, incluant lors du processus d’embauche de ses employés. Elle sait que certains candidats qu’elle rencontre en entrevue ne sont pas nécessairement les meilleurs orateurs qui soient.

On les engage pour leurs compétences, pas pour leur discours.

Elle fait donc tout pour les mettre à l’aise. La salle d’entrevue est équipée d’un canapé et… d’un Golden Retriever. » Et Dieu sait qu’elle en a vu passer, des candidats à l’embauche.

À chaque fois, je leur dis : ici, c’est une terre d’accueil. Tu peux faire ta job sans être dérangé par personne. J’aime être cet employeur qui donne une chance à tout le monde dans ma région.

Équipe

En somme, Lachance Gravel soutient que tout part d’une ouverture d’esprit. Autant pour les embauches que pour être à l’affût des préoccupations extérieures, cette qualité est essentielle lorsqu’on dirige une entreprise comme la sienne.

Il faut être prêt à constamment se remettre en question et écouter les autres points de vue. Moi, c’est ce qui m’a aidée.

Vision

Chez Lachance Gravel, la place des femmes est primordiale dans l’équilibre des forces.

Je crois que les femmes ont des forces et visions différentes des hommes, et que l’équilibre est nécessaire pour le bien-être de l’entreprise.

Annik veut voir plus de femmes se lancer en affaires, et les voir s’entourer d’autres femmes pour créer un mouvement. Elle a un allié précieux, son époux Daniel Dicaire, qui est directeur des opérations dans l’entreprise. « Il me soutient depuis le jour 1 dans cette belle aventure. Sans lui à mes côtés, je ne serais pas la femme d’affaire épanouie que je suis. »

Annik est une femme de coeur, mais elle est aussi une femme d’action. Elle s’investit concrètement dans son milieu, en participant notamment à une campagne avec la créatrice de Belle au Pluriel pour célébrer et soutenir le succès des femmes.

Ensemble, elles ont créé un bijou affichant le mot Sororité. « Sororité, c’est se tenir la main pour être plus fortes et avancer ensemble. Célébrer le succès des autres femmes dans un esprit d’inclusion. »

Même si Lachance Gravel a beaucoup progressé depuis ses débuts, l’esprit familial et chaleureux est toujours palpable. La « fille du Saguenay » ne sortira jamais d’Annik, on peut en être certain.

Malgré son dévouement pour son entreprise, Annik n’a pas l’intention de compromettre sa santé mentale, ni de prioriser son travail par rapport au reste de sa vie.

La santé mentale est un sujet de plus en plus discuté dans la sphère publique ces temps-ci, et avec raison. Dans un domaine aussi exigeant que l’entrepreneuriat, l’enjeu prend une place de premier plan.

Si plusieurs ont souffert par le passé d’un surmenage de leurs capacité mentales et émotionnelles, Annik jure que pour elle, il est important de toujours communiquer son ressenti aux autres afin de ne rien garder en dedans.

Je communique toutes les semaines avec mes collègues et ma famille pour leur dire comment je me sens. Ils font pareil. Quand on commence à faire ça, on se rend compte qu’on vit presque toutes les mêmes choses au final.

Annik préconise ainsi encore une fois l’ouverture d’esprit, pour accepter que ça ne puisse pas toujours aller bien. Il faut accepter de se tromper, accepter que tout ne se passe pas toujours comme prévu.

Je mets régulièrement mon genou à terre. L’important, c’est de ne pas mettre les deux.

Annik est bien consciente que les entrepreneurs comme elle ont souvent cette envie innée de toujours pousser plus loin et essayer des choses. C’est d’ailleurs ce qui fait qu’ils avancent, mais c’est aussi ce qui peut les mettre en danger. Pour Annik, il faut aspirer à trouver un équilibre après quelques mois ou quelques années. Et surtout, il faut toujours communiquer ses émotions à son entourage, en tout temps.

« Il faut faire attention, on est très à risque. Parce que l’entrepreneuriat, c’est un peu maso : on sort de sa zone de confort… et puis on recommence le lendemain ! »

Confiance & respect

Déjà une « solution d’hygiène » respectée dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Lachance Gravel souhaite maintenant conserver ses acquis.

En parallèle à son travail chez Lachance Gravel, Annik suit une formation intensive à l’École d’entrepreneurship de Beauce : toutes les huit semaines, elle passe une semaine en salle de classe à Saint-Georges-de-Beauce afin de perfectionner son développement d’affaires.

Elle a de grands projets sur la table pour son entreprise, mais impossible de les divulguer pour l’instant… Le temps que les choses s’officialisent !

Le conseil d’Annik pour les jeunes entrepreneurs ?

D’écouter ses tripes, tout simplement.

C’est certain que l’avenir peut effrayer. Mais si ça ne te fait pas peur, c’est que tu ne vois pas assez grand.