Mathieu Dostie
Alimentation, Matières premières
Saguenay-Lac-Saint-Jean
En 2020, Viandes CDS devient récipiendaire du prix Dubuc qui récompense l’entreprise manufacturière de l’année. Située à Saguenay, cette compagnie du domaine de l’agroalimentaire reconnue pour ses produits de charcuterie, ajoutait cet honneur à une liste de plusieurs autres accumulés au fil du temps. Et toute cette aventure a commencé par une technique très ancienne que la compagnie a décidé de garder en pratique.
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Les prémices...
Un art ancestral
Pour Mathieu Dostie, propriétaire de l’entreprise, lorsqu’un art ancestral s’invite dans un décor industriel moderne, on peut le qualifier de savant mélange entre l’intelligence de nos aïeux et celle des générations d’aujourd’hui.
Comme dit le dicton, certaines choses ne changent pas. Ou bien, peut-être qu’elles ne devraient tout simplement jamais changer. C’est du moins ce qu’ont pensé les tout premiers acquéreurs de Viandes CDS, compagnie qui pratique encore à ce jour une technique de saumurage d’antan, et, qui selon Mathieu, offre au jambon un goût inégalé.
Le saumurage
Le mot saumure vient du latin sal (sel) et muria (eau salée). La technique consiste à mettre une substance alimentaire dans de la saumure afin d’en permettre une conservation plus longue et d’empêcher la prolifération de certaines bactéries. On doit son invention à Wilheim Beukels, un marin hollandais du XIVe siècle, qui avait tenté de faire tremper des filets de hareng dans des bariques d’eau très salée. Du coup, les balbutiements des conserves venaient de faire leur apparition à la surface de la planète. Cette technique est donc plus profonde et plus élaborée que celle du salage, qui elle consiste simplement à frotter la surface des aliments avec le sel.
L’histoire aurait cependant connu des techniques plus primitives. On dit que certains conquérants plaçaient des pièces de viande entre leur selle et leur cheval pour que la transpiration salée de l’animal agisse comme élément de conservation. Heureusement nous bénéficions aujourd’hui d’un bien meilleur savoir-faire.
Le choixentre deux techniques
Après l’immersion en eau salée, une nouvelle technique de saumurage a vu le jour. On a commencé à introduire la solution salée à l’intérieur même des morceaux de viande et cette fois-ci en l’injectant. Que les âmes sensibles se rassurent une fois de plus, l’animal est déjà mort et dépecé! Ceci dit, ce qui fait la fierté de l’entreprise, c’est la façon dont cette injection est encore pratiquée aujourd’hui.
« Le jambon a quelque chose de particulier. Il y a deux techniques pour introduire la saumure dans cette partie. Celle que l’on voit le plus souvent, c’est-à-dire la manière la plus commerciale, consiste à piquer dans le muscle. C’est ce que font la plupart de nos compétiteurs et à l’aide de machines. Ici, c’est directement dans l’artère de la fesse que nous allons l’injecter. »
Et c’est de manière manuelle qu’un technicien enfonce l’aiguille jusqu’à l’artère. Cependant, même si la technique se veut ancestrale, la science moderne l’accompagne. Ainsi, la quantité de saumure injectée se maintient sous contrôle grâce à une balance reliée à un circuit électronique. Et lorsque le poids voulu est atteint, l’alimentation en saumure est alors coupée automatiquement.
« On utilise une machine pour s’assurer d’une calibration exacte de la solution par rapport au poids de la pièce de viande. Un petit cochonnet ne peut pas recevoir la même dose qu’un porc plus gros. Mais, grâce à cette méthode ancestrale et la technologie moderne, nous avons joint le meilleur des deux mondes. »
Fort utile, cette technologie est tout de même relativement simple et enclavée, ce qui diminue grandement les risques de contamination.
Vision et valeurs...
La science derrière l’aiguille
La vision de Mathieu est claire : continuer à utiliser cette technique pour assurer un produit différent, artisanal et de qualité.
Comment la saumure agit-elle réellement lorsqu’elle est injectée dans une artère? Le but est de lui faire emprunter le système vasculaire naturel de l’animal, ce qui en permet une distribution plus uniforme. Et c’est cette poussée de saumure qui permet l’évacuation du sang.
« Le résultat c’est qu’on sort le sang sans dénaturer le muscle. En fait, cela produit de meilleurs résultats microbiologiques puisque le sang est une source de développement des bactéries. »
Ce procédé assure un produit distinctif et recherché.
On y gagne sur plusieurs aspects; couleur, goût, sans oublier que la chair reste alors plus ferme et que la texture est plus naturelle.
La fraîcheur du jambon est garantie puisque, s’il était trop vieux, la détérioration rapide de l’artère ne permettrait pas d’effectuer le procédé de saumurage. On parle ici d’une expérience « organoleptique » sans pareille. Vulgarisons un peu la science pour expliquer que ce mot définit une substance absorbée par la bouche et capable d’en impressionner les récepteurs. Bref, fiesta chez les papilles gustatives !
Le secret ?
Mathieu est aussi fier de son produit qu’il est discret sur la recette. Impossible de lui tirer les vers du nez pour obtenir des informations exactes quant aux ingrédients et mesures précises de cette solution saumurée.
Quelle sorte de sel au juste ? Des épices ajoutées ?
Alors là, c’est silence radio quand ces questions sacrilèges lui sont posées! Quoi qu’on puisse entendre un léger murmure se faufilant dans l’air et nous indiquant que c’est aussi secret… que la recette de poulet du colonel Sanders ! Chose certaine, que le consommateur soit au courant ou pas de cette particularité de transformation ou de la science qui y somnole, il a tout de même tranché; le jambon de cette compagnie a d’abord fait fureur dans la région du Saguenay pour ensuite conquérir tout le Québec. Et le marché canadien commence à s’ouvrir de plus en plus.
Un secret de famille
Mathieu détient donc le secret familial de la concoction puisqu’elle a été passée de père en fils lorsque le flambeau de la compagnie lui a été relégué en 2018.
Mais on peut alors insinuer, sans trop se tromper, que Mathieu était déjà tombé dans le baril de saumure quand il était enfant et qu’ il entendait quotidiennement son père parler de l’évolution de la compagnie.
« La compagnie avait été fondée en 1991 et mon père y travaillait comme directeur général depuis 2005. »
Jean Dostie a alors une collègue du nom de Brigitte Boily qui détient le poste de directrice des opérations.
En 2006, ils ont fait équipe pour racheter la compagnie. Mon père était visionnaire et il voyait un tout autre marché pour le service alimentaire.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Jean Dostie et sa partenaire d’affaires ont vu très grand. Sous leur règne, bien des choses changent et l’entreprise entre en pleine croissance. On met l’accent sur de l’équipement de plus en plus spécialisé : mélangeur, portionneur, machine pour l’emballage ainsi qu’une thermoformeuse servant à former les pellicules de plastique qui se referment sur le jambon.
« Mon père et Brigitte avaient environ 40 employés à l’époque. Mais le nombre de travailleurs n’est pas un indicateur très valable lorsque, justement, on optimise et on modernise l’équipement. »
On procède également à un agrandissement des locaux. Les objectifs visés sont d’obtenir un volume de clients supplémentaire. De nouveaux produits font également leur apparition au menu. On parle maintenant d’une entreprise offrant plusieurs viandes de charcuterie.
Il leur a aussi fallu suivre les tendances du marché.
Les recettes ont évolué côté valeur nutritive et une attention a été portée aux allergènes.
s’adapter
Non merci mon fils !
On aurait pu croire que, dans ces circonstances, Mathieu aurait décroché son premier emploi étudiant dans la compagnie de son père. Pourtant, les choses se sont déroulées très différemment.
« Quand j’étais jeune, je n’ai jamais travaillé pour Viandes CDS. Il ne voulait pas que je sois perçu comme ‘‘le fils du boss’’. Alors comme premiers boulots, j’ai plutôt travaillé sur un champ de pratique de golf et dans de petits magasins. Puis, peu à peu j’ai acquis des expériences comme caissier à la SAQ. »
Mon père m’a réellement poussé à faire autre chose et surtout à aller me faire un nom. Il tenait à ce que j’aille faire mes propres expériences.
Le jeune homme gravit lentement les étapes sur le marché du travail et apprend à connaître des gens. Puis, il prend une grande décision de carrière en décidant de s’orienter vers la comptabilité au HEC Montréal. Une fois diplômé, il travaille à titre de comptable professionnel agréé chez DELOITTE pendant plus de six ans. Mais pendant ce temps, certaines personnes reluquent Viandes CDS et manifestent ouvertement leur intérêt pour l’acheter.
« Mon père commençait à penser à la retraite et ils ont eu deux offres d’achat sérieuses. Ils voulaient quelqu’un avec qui ils pourraient s’entendre et qui partagerait les valeurs de l’entreprise. Ils désiraient entre autres rester impliqués dans la compagnie, alors il y a eu des négociations à ce sujet. Mais finalement, ils n’ont vendu à personne. »
Et pendant ce temps, Mathieu, lui, a entrepris de réaliser une maîtrise en administration des affaires (MBA) afin d’élargir ses connaissances et d’approfondir ses aptitudes en gestion. C’était un monde financier dans lequel il exerçait ses services pour des clients commerciaux pour des mandats spéciaux
de valorisation, des transactions financières, du financement, règlement de litiges, etc. Autant de cas que de défis.
« J’aimais les projets et trouver des solutions concrètes à des problèmes. Ça m’attirait. Parfois, on arrivait avec des enjeux créatifs pour des problématiques importantes. D’autres jours, des clients pouvaient venir nous proposer une solution alors que c’était celle inverse qu’il fallait considérer. »
Il baigne donc dans une marmite cette fois bien à lui. Et ce qu’il aime le plus, c’est d’arriver à guider le client afin qu’un résultat positif en découle. Et au fil des années de sa jeune vingtaine, il constate que penser en dehors de la boîte semble être sa force.
Et, à ce moment-là, racheter l’entreprise de son père ne faisait nullement partie de ses plans.
Quand l’idée germe
La vie réserve parfois des changements de cap et contre toute attente, vient un moment où il commence à y penser.
« Je savais que c’était quelque chose qui avait du potentiel parce que l’alimentation, c’est un besoin primaire. Les questions se mettent alors à me trotter dans la tête : Est-ce que je peux le faire ? Comment je vois l’avenir de la compagnie? Suis-je capable? Assez bon? Je savais que je n’avais pas d’expérience en alimentation et je n’avais que 28 ans. J’ai mijoté ça pendant quelques mois. »
Au fur et à mesure que l’idée germe, il se rend compte que son expérience antérieure de travail pourrait certainement s’arrimer aux besoins de Viandes CDS, mais qu’il lui manquait assurément quelque chose…
« En comptabilité, j’ai vu des compagnies qui étaient vendues le vendredi dont les employés, trop stressés par la vente, avaient remis leur démission dès la semaine suivante. Alors pour que ça n’arrive pas, il faut pouvoir se fier à des mentors. »
La solution lui parait alors évidente; garder les mentors tel que Brigitte et Jean.
La transition
Signe d’une maturité devenue impressionnante, Mathieu fait une proposition qui surprend les deux actionnaires.
« Un beau jour, je suis venu rencontrer mon père à son bureau et je lui ai dit que je serais intéressé à acheter la compagnie, mais avec son soutien. Je n’ai même pas pensé à quoi ressemblerait sa réaction. Il a d’abord été très surpris, mais content. Tout au long de ma vie, il n’avait jamais rien exigé de moi en ce qui concernait la compagnie. Et je pense que ça lui a fait très plaisir d’apprendre que je voulais travailler avec lui. »
Pas question de retraite immédiate ni de mise à pied. Il deviendrait propriétaire, mais travaillerait avec eux pendant le temps nécessaire pour se familiariser complètement avec l’entreprise. Comme il pouvait dorénavant compter sur l’incommensurable support de ses deux nouveaux alliés, cet arrangement permet une transition tout en douceur. De surcroit, il sait que ses deux mentors lui offrent une opportunité d’apprendre et surtout qu’ils souhaitent ardemment sa réussite.
Mettre réellement les pieds sur le terrain a été une chose bien différente.
cheminement
Sous le nouveau règne
Bien sûr, le jambon restera toujours du jambon. Et les cretons aussi. Mais il existe à propos de ces denrées des anecdotes intéressantes.
Les plus friands d’histoire seront surpris d’apprendre que le jambon est une habitude alimentaire provenant de la Gaule et que seuls les Québécois produisent des cretons. Mais si les employés de la compagnie affectionnent ce genre de récit historique, ils continuent néanmoins à aller de l’avant. Mathieu y a ajouté sa couleur, ses ambitions et ses projets.
« Je pense être arrivé avec des projets nouveaux et dynamiques. Nous avons travaillé à augmenter le nombre de produits chez des clients déjà bien établis. Chose importante, nous avons voulu créer des
niches différentes, comme percer le marché des résidences pour personnes âgées. On y a travaillé au niveau des achats pour se positionner comme joueur clé avec de bons prix. »
L’entreprise a établi d’importants partenariats et fabrique des charcuteries sous plusieurs marques privées nationales. Viandes CDS se lance aussi dans la production de nouveaux produits dans l’optique de valeur ajoutée.
« En 2020, nous avons produit du jambon à effilocher. D’un coup, on venait de le sortir de sa forme connue uniquement dans les assiettes du petit déjeuner, pour maintenant garnir des pizzas et des poutines. Le même produit pouvait soudainement servir à quatre ou cinq plats différents. »
La vision macro de l’entreprise n’est pas en reste. Une seconde génération de technologie viendra gonfler ses rangs car qui dit viande dit aujourd’hui transport spécialisé, des appareils à Rayons X performants, des détecteurs de métal sophistiqués, de l’équipement d’emballage de pointe et des centres de distribution. En 2022, Mathieu a donc acquis une compagnie de transport afin d’intégrer les activités de Viandes CDS à partir du début de la chaîne d’approvisionnement jusqu’aux clients. Il projette également un agrandissement de l’usine en 2023. Sans compter qu’un centre de transformation satellite a été inauguré à Chicoutimi en 2021. Et tout cela sans perdre d’employés malgré les changements et la transition. D’ailleurs, Mathieu compte aujourd’hui sur une équipe en pleine croissance de plus de 100 employés passionnés qui offrent aux clients de Viandes CDS des produits distinctifs et de qualité supérieure.
En coulisse...
Un entrepreneur prévoyant et déterminé
Mathieu Dostie
Directeur général
Il s’est assis sur les bancs d’université mais a tout de même compris une importante leçon de vie; ne jamais hésiter à admettre les choses que nous n’avons jamais eu la chance d’apprendre! Il est l’exemple d’un entrepreneur qui connaît ses limites mais qui désire justement les dépasser. Pour lui, chaque entreprise a ses particularités et il incombe aux dirigeants d’en être au parfum.
Un bon entrepreneur doit prendre le temps nécessaire pour apprendre et comprendre sa compagnie.
Une esquisse de l’avenir...
Faire croître l’entreprise
Mais la question qui brûle les lèvres, c’est si les nouvelles philosophies sociétales auront un jour raison du marché de la viande. Après tout, on parle de plus en plus de la bannir de votre assiette pour la remplacer par des produits à base de plantes.
« Dans ma vision à moi, ça demeure marginal. La viande végé demeure simplement une niche dans une autre. Bon, bien sûr si ça évolue énormément, on s’adaptera. Mais pour le moment c’est loin d’être le cas. En fait, quand on doit vendre un produit sans viande mais en le présentant dans un moule en forme de viande, ça en dit beaucoup sur le désir des gens quant à la véritable viande.
Je ne pense pas du tout que les consommateurs soient prêts à la sacrifier de leur diète. Et puis, il faut faire attention car la liste des ingrédients composant ces produits est parfois assez incroyable. Alors non, je ne suis pas du tout convaincu que ce soit un enjeu à court ou moyen terme pour notre organisation. »
Les Viandes CDS
568, Boulevard Saguenay Ouest
Chicoutimi (Québec) G7J 1H4
418 549-9614
viandescds.comDirection de l’édition : Audrey Dallaire
Auteure : Louise-Marie Lacombe
Conception graphique : Liliane Racine
Graphiste : Marie-Hélène Taillon
Révision : Nathalie Boivin
© 2022, Memorial Edition
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